L’encre de notre document Perspectives de 2020 vient à peine de sécher. Dans ce document, nous soulignions la fin de la troisième grande crainte d’un ralentissement de la croissance en raison des erreurs de politique monétaire (après la crise de la dette en Europe en 2012 et la hausse des taux de la Réserve fédérale américaine [Fed] en 2015) au cours du cycle économique et de crédit actuel qui dure depuis très longtemps. La croissance stable et le soutien de la politique monétaire étaient censés être les thèmes dominants de l’année 2020. La Fed avait déjà annulé les hausses de taux de 2018 et amélioré la situation financière du pays, tandis que l’Administration Trump avait ratifié la Phase 1 de l’accord commercial avec la Chine. De son côté, la Chine s’efforçait de relancer son économie. Le résultat de janvier de l’indice manufacturier des gestionnaires en approvisionnement du Institute for Supply Management, indicateur avancé de l’activité économique aussi valable que les autres, aurait traditionnellement dû nous permettre d’affirmer de manière retentissante que les craintes d’un ralentissement de la croissance sont chose du passé. Et nous nous serions exclamés : « Vive le goût du risque »!
L’indice PMI manufacturier de l’ISM est revenu en territoire expansionniste en janvier
Sources : Institute for Supply Management et Bloomberg
Le coronavirus a fait dévier la croissance économique
Hélas, nous n’étions pas dus pour un « retour à la normale ». La montée du coronavirus, les quarantaines qui se sont ensuivies et les pertes de productivité vont nuire considérablement à la croissance à un moment inopportun pour l’économie mondiale. La troisième grande crainte d’un ralentissement de la croissance au cours du présent cycle venait tout juste de s’apaiser lorsqu’une quatrième grande crainte a fait surface. À mon avis, la ligne bleue dans le graphique ci-dessus chutera sans aucun doute sous la barre des 50 points sous peu.
Je ne vais pas tenter de quantifier la perte attendue en lien avec le ralentissement de l’activité économique. (Je vais me contenter de souligner que mon collègue, Paul Jackson, chef de la recherche mondiale sur la répartition de l’actif, est confiant que nous assisterons à un choc baissier bref, mais marqué, de l’économie chinoise au premier trimestre, suivi d’une reprise au deuxième trimestre et pendant la deuxième moitié de l’année, tout dépendant de pendant combien de temps le nombre de cas et de décès quotidiens va continuer d’augmenter.)
Je vais plutôt me pencher sur la crainte d’un ralentissement de la croissance du point de vue d’un stratège des marchés en utilisant des cadres pour : A) évaluer si le cycle économique tire à sa fin; et B) déterminer quels titres sont susceptibles de dominer le marché en fonction de l’évolution de l’activité économique et de la réaction des autorités monétaires.
Que nous montre le « tableau de bord de fin de cycle »?
Une épidémie de maladie infectieuse a rarement entraîné une récession économique mondiale et j’irais même jusqu’à dire que ce n’est jamais arrivé. Là encore, la croissance mondiale était déjà dans un état précaire en raison de l’incertitude provoquée par la guerre commerciale sino-américaine. Au lieu de simplement spéculer sur la perspective d’une récession technique, j’ai pensé dresser un tableau de bord de fin de cycle qui fait état des indicateurs de marché les plus révélateurs :
La forme de la courbe des taux des bons du Trésor américain : Au moment d’aller sous presse, l’écart de taux entre les bons du Trésor américain à 10 ans et à 2 ans est de 11 points de base.1 On peut qualifier la courbe de très légèrement inclinée vers le haut ou d’obstinément plate mais, surtout, elle n’est pas inversée. Or, chacune des récessions du dernier demi-siècle a été précédée d’une inversion prolongée de la courbe des taux.2 Oui, le taux des fonds fédéraux est plus élevé que le taux des bons du Trésor américain à 10 ans, au moment où j’écris ces lignes, mais la conjoncture de relativement faible taux d’inflation pourrait permettre à la Fed de procéder à une baisse de taux si nécessaire.
La vigueur du dollar américain : Le dollar américain s’est une fois de plus apprécié et pourrait devenir la devise la plus forte par rapport à un panier de devises pondéré en fonction des échanges commerciaux. Il faut surveiller le dollar américain de près, car l’exode des capitaux vers les actifs libellés en dollars américains ralentirait l’activité économique internationale et nuirait aux bénéfices des multinationales américaines. Si le dollar s’apprécie trop et provoque des impulsions déflationnistes, la Fed devra une fois de plus intervenir pour stabiliser la devise.
L’écart de taux entre les obligations de sociétés américaines et les bons du Trésor américain : Jusqu’ici, la prime de taux des obligations de sociétés n’a pas posé de problème; elle est demeurée très faible par rapport à la moyenne historique. La prime de taux des obligations à rendement élevé s’est même resserrée pendant la première moitié de février.
Tout bien considéré, jusqu’à présent, les conditions financières demeurent extrêmement bonnes par rapport au début de chacune des trois dernières récessions, comme l’illustre le graphique ci-dessous. Ce graphique est loin de laisser présager une récession imminente.
L’indice des conditions financières Goldman Sachs n’indique pas de récession imminente
Les zones ombragées représentent des récessions.
Sources : Goldman Sachs et Bloomberg, L.P.
Quels titres nous attendons-nous à voir dominer le marché?
Pour savoir quels titres sont susceptibles de dominer le marché, nous devons nous poser les trois questions suivantes :
- Quelle orientation l’économie mondiale semble-t-elle prendre?
- Comment les autorités monétaires réagiront-elles à la conjoncture?
- Quelles seront les répercussions de la croissance économique et de la politique monétaire sur les flux de capitaux?
Réponse à la question 1 : Il ne fait aucun doute que l’activité économique mondiale ralentit, comme en témoignent bon nombre des signes extérieurs habituels (taux plus bas, dollar plus fort, prix des produits de base industriels plus bas, obligations et substituts obligataires qui performent bien), même si le marché dans son ensemble a tenu le coup jusqu’ici (mais ne pas soyez surpris si la volatilité économique entraîne une certaine volatilité boursière à court terme). Cependant, à mon avis, il est tard, peut-être même trop tard, pour adopter une stratégie défensive. L’optimiste que je suis espère que le virus pourra être contenu, que la population active chinoise réintégrera graduellement le travail et que la demande refoulée soutiendra la croissance pendant la deuxième moitié de l’année.
Réponse à la question 2 : Je m’attends également à ce que les autorités monétaires américaines et chinoises interviennent rapidement, si nécessaire, pour soutenir la croissance et relancer l’économie mondiale.
Réponse à la question 3 : Je crois que la stabilisation de la croissance et une politique de soutien favoriseraient les actions par rapport aux obligations, les titres de croissance versus les titres de valeur et les titres de créance par rapport aux bons du Trésor. C’était mon point de vue au début de l’année et ça l’a été pendant la majeure partie du cycle en cours.
Source: Invesco Canada