Comment le marché réagira-t-il lorsque la Fed abaissera les taux d’intérêt?

Source Invesco Canada

Au cours des dernières semaines, il m’est apparu évident que les États-Unis devraient très probablement éviter la récession, et que la Réserve fédérale américaine (Fed) devrait commencer à abaisser son taux directeur. Cette situation me fait de plus en plus penser au cycle de resserrement de 1994-1995. Je crois que nous sommes tous d’accord pour dire que cette période se termine bien, car elle ne s’est pas soldée par une récession. Même si, généralement, l’histoire ne se répète pas, elle fonctionne généralement par cycles qui reviennent. J’espère donc qu’en étudiant ce qu’il s’est passé sur les marchés lorsque la Fed a commencé à abaisser les taux en 1995, nous saurons en tirer des leçons.

Tout d’abord, je crois qu’il est important de rappeler les dates1 :

  • Entre février 1994 et février 1995, la Fed a relevé son taux directeur de 300 points de base.
  • En juillet 1995, la Fed a commencé à assouplir sa politique monétaire, mais a abaissé son taux directeur de seulement 75 points de base entre juillet 1995 et janvier 1996, puis l’a maintenu au même niveau pendant plus d’un an.

Comment les marchés ont-ils réagi au cours des six premiers mois, lorsque la Fed a commencé à assouplir sa politique le 6 juillet 1995? Du 6 juillet 1995 au 5 janvier 1996 :

  • Hausse des cours des actions. L’indice S&P 500 a progressé de 11,32 % au cours des six mois qui ont suivi le début des mesures d’assouplissement de la Fed.2
  • Rendement supérieur pour les actions de sociétés à grande capitalisation. Du point de vue de la capitalisation, les actions de sociétés à petite capitalisation ont inscrit un rendement légèrement inférieur à celui des actions à grande capitalisation au cours de ces six mois. L’indice Russell 2000 a progressé de 9,05 %, comparativement au rendement de 11,46 % de l’indice Russell 1000.2
  • Rendements supérieurs pour les actions de valeur. Pour ce qui est des styles de placement, pendant les six mois qui ont suivi le début de l’abaissement des taux par la Fed, le style de placement axé sur la valeur a légèrement surpassé celui axé sur la croissance; l’indice de valeur Russell 3000 a progressé de 12,0 %, comparativement à 10,48 % pour l’indice de croissance Russell 3000.2 Les actions de sociétés à grande capitalisation ont également suivi ce modèle; au cours de cette période de six mois, l’indice de croissance Russell 1000 a progressé de 10,66 % (rendement des cours) tandis que l’indice de valeur Russell 1000 a progressé de 12,31 %.2
  • Le secteur de la santé en tête. Pour ce qui est du rendement sectoriel au cours des six premiers mois du cycle d’assouplissement de la Fed en 1995, le secteur de la santé a été le plus performant avec un rendement de 26,06 % au cours de la période.2 Un certain nombre de secteurs, notamment ceux de l’énergie, de l’industrie, des services financiers, des services aux collectivités et des biens de consommation de base, ont affiché un rendement à deux chiffres pour cette période. Toutefois, le secteur de la consommation discrétionnaire a inscrit un faible gain de 2,91 %, celui des matériaux a stagné et le secteur des technologies a reculé.2
  • Les actions internationales à la traîne. Les actions européennes et britanniques ont fortement progressé, mais ont été légèrement devancées par les actions américaines. Le Stoxx 600 a progressé de 10,05 % et le FTSE 100 de 9,33 % au cours de cette période de six mois.2 Par contre, les actions des marchés émergents ont inscrit les rendements les plus faibles, enregistrant une perte modérée au cours de la période, bien qu’elle soit imputable à des problèmes propres à certains pays, comme la crise du peso mexicain.
  • De bons rendements pour les obligations. L’indice Bloomberg US Aggregate Total Return a progressé de 5,28 % et l’indice Bloomberg High Yield Total Return de 6,02 % au cours des six mois qui ont suivi le début des mesures d’assouplissement de la Fed.2
  • Le secteur de l’immobilier a progressé. L’indice FTSE NAREIT a progressé de 6,89 % au cours de cette période de six mois.2
  • Le dollar américain a pris de la valeur. L’indice du dollar américain a commencé à se renforcer à l’été 1995, lorsque la Fed a commencé à réduire ses taux. Cette situation peut sembler surprenante, mais elle fait suite à une forte baisse du dollar au début de l’année 1995 en raison de la crise du peso mexicain. Le renforcement du dollar, qui a commencé plus tard cette année-là, correspond probablement à un retour à la normale lorsque la crise a commencé à se résorber.

Que s’est-il passé au cours des six mois suivants?

Globalement, les rendements ont été plus modérés au cours des six mois suivants (du 5 janvier 1996 au 5 juillet 1996). L’indice S&P 500 a progressé, mais plus modestement, de 6,6 %.2 Les actions de sociétés à petite capitalisation ont également inscrit des gains plus modestes, tout comme les actions internationales.2 Les obligations ont également inscrit des gains plus faibles. Les actions de croissance ont surpassé les actions de valeur au cours de cette période, le secteur des technologies ayant inscrit le rendement le plus élevé (15,10 % pour les sociétés du secteur des technologies du S&P 500).2 Selon moi, la baisse de taux de 75 points de base n’a pas été suffisante pour permettre aux actifs risqués de progresser.

Aujourd’hui, la situation du chômage et de l’inflation n’est plus la même qu’en 1995.

Il est important de souligner que le cycle de resserrement des années 1994 et 1995 a été considéré comme « préventif ». Autrement dit, l’inflation était relativement faible, mais la Fed craignait une forte augmentation en raison de la contraction du marché de l’emploi. Comme l’a expliqué le président de la Fed de l’époque, Alan Greenspan, lors de son discours devant le Congrès en 1997, « l’effet de la politique monétaire sur l’activité économique n’étant pas immédiat, la prise de mesures préventives pour contrer les pressions inflationnistes potentielles est devenue une caractéristique importante de la politique monétaire. Par conséquent, cette approche a élevé la science de la prévision à un niveau encore plus important dans les délibérations autour de la politique monétaire. »3

Lorsque la Fed a commencé à resserrer sa politique monétaire en février 1994, le taux de chômage s’établissait à 6,5 %. Il est retombé à 5,4 % en février 1995, lorsque la Fed a mis fin à son cycle de resserrement, ce qui suggère un important décalage de l’effet de la politique monétaire, ce qu’Alan Greenspan a souligné.4 Le taux de chômage s’établissait à 5,7 % lorsque la Fed a commencé à assouplir sa politique en juillet 1995.3 Lorsque l’assouplissement a pris fin en janvier 1996, le taux de chômage avait en fait légèrement augmenté, à 5,8 %, ce qui illustre encore une fois ce décalage.4

Le cycle de resserrement des années 2022 et 2023 n’était quant à lui absolument pas préventif; je dirais plutôt qu’il a été réactif, et même purement et simplement tardif. L’inflation avait fortement augmenté, mais cette hausse avait d’abord été considérée comme transitoire, avant que la Fed ne commence enfin à resserrer sa politique monétaire en mars 2022. Toutefois, en raison de la situation du marché de l’emploi après la pandémie de COVID, le taux de chômage avait nettement diminué (il s’établissait à 3,6 % en mars 2022)4 et, également en raison des politiques liées à la COVID, de nombreuses mesures de relance budgétaire avaient été mises en place. De plus, de nombreux consommateurs américains avaient décidé de conserver leurs logements qu’ils avaient déjà financés ou refinancés au moyen de prêts hypothécaires à faible taux fixe à long terme, de sorte qu’ils étaient davantage protégés contre l’effet d’un resserrement musclé.

Des réductions de taux beaucoup plus importantes sont attendues aujourd’hui

Les conditions économiques étaient donc différentes en 1995; le taux de chômage était plus élevé qu’aujourd’hui et les consommateurs moins résilients. Par conséquent, même si le resserrement a été plus énergique au cours du dernier cycle de la Fed, avec des relèvements de taux de 525 points de base en 2022 et 2023, comparativement à 300 points de base en 1994 et 1995, l’économie semble plus en mesure de résister à la pression. En outre, les prévisions de baisses de taux sont très différentes aujourd’hui. On s’attend en effet à des réductions d’environ 200 points de base au cours de la prochaine année5, ce qui stimulerait bien plus les actifs risqués au cours des prochains mois que les faibles baisses de 75 points de base décidées par la Fed entre juillet 1995 et janvier 1996. Dans ce contexte, les marchés devraient anticiper une réaccélération de l’économie à la fin de 2024 ou au début de 2025, ce qui, selon moi, se traduirait par une très bonne performance des actifs risqués. Plus précisément, je m’attends à une surperformance au moins modérée des titres cycliques et des titres de sociétés à petite capitalisation. Je prévois également un affaiblissement du dollar américain, ce qui pourrait favoriser les actions internationales. De plus, je m’attends à ce que les titres à revenu fixe, en particulier les obligations municipales et à rendement élevé, et les fiducies de placement immobilier (FPI), produisent des gains.

Cela dit, nous devons reconnaître que chaque politique monétaire et contexte économique est différent et que, par conséquent, chaque environnement de marché est différent. Je ne serais pas surprise d’observer une volatilité importante sur les marchés et même quelques délestages au cours des prochaines semaines, surtout en prévision de la réunion de septembre de la Fed et de l’élection présidentielle de novembre, mais aussi en réaction à la faiblesse des données économiques, car les « mauvaises nouvelles » ne sont plus des « bonnes nouvelles », mais restent simplement des « mauvaises nouvelles ».

Que nous réserve l’avenir?

Cette semaine, nous allons recevoir les indices des directeurs d’achats de plusieurs pays, ainsi que le rapport de l’enquête américaine sur les postes à pourvoir et le taux de rotation de la main-d’œuvre, une ressource utile pour évaluer le niveau de resserrement du marché de l’emploi. Je lis d’ailleurs systématiquement le Livre beige de la Réserve fédérale, que je trouve très intéressant et qui contient habituellement de précieux renseignements. La Banque du Canada se réunit cette semaine, et j’espère qu’elle va de nouveau décider d’abaisser son taux directeur, car cela devrait renforcer la confiance de la Fed et l’encourager à assouplir à son tour sa politique monétaire.

La publication la plus attendue cette semaine est sûrement le rapport sur l’emploi aux États-Unis de vendredi, à l’égard duquel les marchés montrent déjà des signes de nervosité. L’indicateur le plus important de ce rapport sera la croissance des salaires, et je pense qu’elle sera relativement modérée. Toutefois, je ne saurais trop insister sur le fait que, quelle que soit la teneur du rapport, ce dernier n’empêchera pas la Fed de réduire son taux directeur en septembre. Je m’attends à ce que la Fed n’abaisse ses taux que de 25 points de base, mais je suis d’avis que cette baisse marquera le début d’un cycle d’assouplissement probablement très important. De plus, si nous nous basons sur la politique d’assouplissement des années 1995 et 1996, ce nouveau cycle devrait, selon moi, créer un environnement positif pour les actifs risqués au cours des prochains mois.

  1. Source de toutes les données historiques sur le niveau des taux d’intérêt aux États-Unis : Réserve fédérale américaine, au 3 septembre 2024
  2. Source : Bloomberg, L.P., au 3 septembre 2024
  3. Source : Alan Greenspan, discours devant le Congrès, janvier 1997
  4. Source : US Bureau of Labor Statistics, au 31 août 2024
  5. Source : Outil Fedwatch de CME Group, au 3 septembre 2024